Aide humanitaire aux Philippines. Jean-Patrice NASO, fondateur de l'association les « Philanthropes du secours », témoigne.
Publié le 21 décembre 2013
Le 8 novembre 2013, Haiyan, un typhon d’une rare violence frappe les Philippines. Des vents de plus de 300 kms/h balaient tout sur leur passage et des vagues de 3 mètres déferlent sur les côtes.
Haiyan ne laissera derrière lui qu’un champ de ruines et aura causé la mort de milliers de personnes…
A l’annonce de cette catastrophe, Jean Patrice NASO, sapeur-pompier professionnel au CIS Tour Rouge, fondateur de l’association les « Philanthropes du Secours » (PHDS), décide de partir sur place pour porter secours à cette population philippine. Libéré par son chef de groupement, après les accords des ambassades et avec son propre financement, il s’envole seul le 13 novembre, pour rejoindre ce territoire dévasté. Il n’apportera dans ses bagages que quelques effets personnels et surtout un sac de « bobologie » pour assurer les premiers secours d’urgence sur place.
Voici son récit… le récit du chaos qu’il a découvert sur place, de ces images douloureuses gravées à jamais dans sa mémoire, de ces philippins si dignes face à leur douleur… Un récit pour rendre hommage à cette population endeuillée et démunie, à quelques jours de Noël.
« Le 8 novembre, je découvre au journal télévisé les premières images de cette catastrophe… j’étais abasourdi par ce paysage de chaos. J’ai immédiatement décidé de partir, d’aller apporter mon aide, avec mes propres moyens, seul… je voulais juste aider…
Le 13 novembre, je décolle de Nice à 14h30 pour Dubaï… 4 heures de transit puis direction Manille. Arrivé à Manille, je prends un vol interne direction Cebu, puis Tacloban, port de la côte Est balayé par le typhon. Sur place, je me retrouve face à un véritable désastre, un paysage de gravats, tout est détruit… les victimes jonchent les sols et les survivants déambulent, hagards, la plupart à la recherche de ceux qu’ils ont perdus… Un paysage irréaliste… une vision insoutenable.
Je me rapproche très rapidement d’un groupe de militaires et me met au travail à leurs côtés. Ensemble, nous recherchons les victimes et retrouvons un grand nombre de disparus sous les décombres, en surface, ensevelis par la boue… Tout le long de nos explorations, nous sommes suivis par des habitants à la recherche de leur famille. Parfois, par chance, nous retrouvons le corps de l’un des leurs… Comme lors de notre passage dans une chapelle. Nous pénétrons à l’intérieur et là encore, image de désolation et de désarroi : de nombreuses victimes sont là. Une maman est devant cet édifice. Elle souhaite récupérer son enfant... Je vais donc chercher, au milieu des autres victimes, le corps sans vie de cette fillette, pour la donner à cette mère et pour qu’elle puisse lui offrir une sépulture.
Une autre femme m’a suivi toute une matinée, en silence. Elle espérait que je retrouve un des membres de sa famille parmi tous les corps que je transportais pour aider la police… en vain… je ne pourrai malheureusement pas l’aider.
Pendant plusieurs jours, l’une de nos principales missions avec les militaires philippins, est de baliser les chantiers, de noter le nombre de victimes retrouvées afin d’en informer la police et d’aider les familles à enterrer leurs défunts. Ces moments sont insoutenables. Aucune structure n’est organisée pour procéder à ces funérailles. Aucun commandement n’est mis en place pour diriger les actions. C’est le désordre complet… le chaos total au milieu de cette ville, quasiment rayée de la carte. Les secours internationaux sont peu nombreux, contrairement aux médias…
Je décide de retourner vers le centre-ville et c’est à l’aide d’un moto-taxi que je rejoins ma destination… Tout le long de la route, le paysage n’est que spectacle de désolation et de tristesse. Là encore, on n’aperçoit que des ruines… là encore, des centaines de personnes déambulent anéanties et pleurant leurs disparus. Beaucoup cherchent eau potable et nourriture car Haiyan a tout détruit sur son passage. La mer est une véritable décharge charriant toutes sortes d’objets (voitures, arbres, bois, …). Certains tentent de fuir l’ile par bateau et des files d’attente de plus d’une centaine de mètres de long se forment.
Arrivé au centre, je découvre un hôtel, quasiment détruit où des groupes de secours se sont arrêtés. Je décide de bivouaquer à leurs côtés avant de reprendre mon chemin.
Tout au long de mon parcours je rencontre de nombreux habitants démunis et ensemble nous essayons d’étayer, pour certains, les maisons encore « debouts ». Pour d’autres, nous construisons des abris de fortune, avec quelques planches et quelques clous trouvés sur place... Là aussi, j’aide ces hommes et ces femmes à envelopper le plus dignement possible les corps de leurs disparus. Je collabore au comptage des victimes et à la détermination des identités. Je vais de chantier en chantier pour nettoyer les décombres, aider du mieux possible avec le peu de moyens dont je dispose. Je m’insère plusieurs heures par jour dans le seul hôpital encore opérationnel afin de collaborer aux premiers soins, aux brancardages, aux pansements.
Mais avec toute la volonté et toute la détermination possible, il est difficile de travailler sur ce terrain de ruines. Le climat est pesant et difficile à supporter : chaleur étouffante, forte humidité avec de nombreuses pluies. Les odeurs deviennent nauséabondes.
Comme les habitants, je manque d’eau et de nourriture et c’est auprès de la Croix Rouge Canadienne que je peux reprendre quelques forces en fin d’après-midi, avant le couvre-feu établi par l’Armée entre 20 heures et 7 heures.
Ce paysage de chaos est difficilement soutenable.
Quelques jours après mes différents chantiers sur Tacloban, je décide de me rendre sur l’Ile de Samara. Je réussis à embarquer à bord d’un hélicoptère de l’US Air Force, avec la Croix Rouge Philippine. A mon arrivée sur les lieux, je découvre une île complétement détruite et isolée. Très peu de secours internationaux sont présents. J’ai alors recommencé les mêmes actions qu’à Tacloban : réalisation des pansements de fortune, poses d’atèles confectionnées avec de vulgaires bouts de bois, gestion des corps, aides auprès des survivants…
Au bout de quelques jours, je reviens à Tacloban, déshydraté et épuisé. La Croix Rouge me conseille de reprendre des forces, de me reposer. Quelque temps plus tard, et avec l’aide de l’US Air Force, je rejoins Manille pour rentrer en France, dans les Alpes-Maritimes… chez moi… auprès de ma famille… j’avais la chance de pouvoir retrouver les miens… »
Les jours sont passés depuis cette catastrophe et cette expédition humanitaire… mais Jean-Patrice n’oublie rien… les images sont indélébiles.
Cet homme altruiste, plutôt discret et pudique, habitué au secours quotidien et à l’aide humanitaire de catastrophe, n’a pas pour habitude de se confier ainsi. Mais aujourd’hui, au retour des Philippines, et à l’approche des fêtes de fin d’année, il a souhaité témoigner de ce qu’il a vu, de cette expérience encore plus marquante que celle vécue lors du tremblement de terre en Haïti. Même si les mots et les images exprimés sont durs, il a tenu à nous expliquer que le plus insoutenable était la vision des corps sans vie des enfants… comme ce bébé et son frère qu’il a enveloppés en attendant qu’une sépulture de fortune leur soit offerte.
Jean-Patrice souhaite rendre hommage à ce peuple aujourd’hui meurtri et démuni. Il exprime toute son admiration pour ces philippins si dignes face à la souffrance et à la perte des êtres chers. Ces hommes et ces femmes ne se plaignent jamais et gèrent avec une telle décence leur douleur. Anéantis, affamés et sans ressources, ils vous accueillent à bras ouverts, ils vous sourient, humblement mais sincèrement…
Une véritable leçon de vie…
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